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Channel: Tarantino – La Kinopithèque
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Once upon a time… in Hollywood

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Quentin Tarantino, 2019 (États-Unis)

Quentin Tarantino s’essaye à un nouveau genre : le conte de fée. Mais dans ce conte la princesse peut dormir sur ses deux oreilles. Elle peut aller danser au bord de n’importe quelle piscine de n’importe quelle villa sur la colline de L.A. qui lui chantera. Elle prend soin d’elle et de son ventre de huit mois, invite des amis pendant que son prince tourne en Europe. Elle est libre d’acheter Tess à un bouquiniste angelin pour pouvoir l’offrir à Roman. Et s’il lui prend d’aller se voir en salle obscure dans Matt Helm règle son comte (Phil Karlson, 1968), grand bien lui fasse. Son plaisir y sera double ; Sharon Tate actrice spectatrice (jouée par Margot Robbie) est aux anges devant le film et s’éclate à entendre les réactions de la salle enthousiaste. A cet instant, l’effet miroir du cinéma la comble de fierté et de bonheur. Un autre plan montre la princesse dans ses draps, en train de ronfler, le blond de ses cheveux au soleil, insouciante comme il se doit. Quentin Tarantino la fait exister ainsi, par touches, des moments sans importance du quotidien, et la rend tout à fait attachante. Sharon Tate, actrice sauvagement poignardée de seize coups de couteau en 1969, est ici une jeune femme heureuse, qui traverse le film comme une figure évanescente, un fantôme.

Pour veiller sur elle, deux preux qui cherchent leur place au pays des loups. Ces chevaliers sont sur le déclin mais forment un duo magnifique. Cowboy has been, désormais en boucle sur les rôles de méchant à dérouiller, Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) est à un tournant de sa petite carrière d’acteur de télévision. Il doute un temps, pleure un bon coup sur l’épaule de son pote Cliff Booth (Brad Pitt). Lui, c’est sa doublure cascade (de moins en moins), son homme à tout faire (de plus en plus) et finalement un peu l’ombre de son ombre. Il est en tout cas particulièrement dévoué et, comme de nombreux personnages de Tarantino, d’une très grande rigueur morale. Si Dalton par son incapacité à se renouveler nous fait redécouvrir les films de guerre, les séries policières et les westerns de série B des années 1960 (ce qui finalement n’est pas si mal), Booth, lui, nous ramène sur le terrain des coups de latte, pour rigoler contre le Bruce Lee du Frelon Vert, et lors d’une visite plus inquiétante sur le ranch Spahn. Là, dans la vallée de San Fernando, Cliff Booth tombe par hasard sur la famille Manson et le film, sans esbroufe, se retrouve dans une marge horrifique à décrire le type de situation trouvée quelques années plus tard dans Massacre à la tronçonneuse d’Hooper (1974) ou La colline à des yeux de Craven (1977).

En dehors de ses voisins, car Rick et Cliff habitent juste à côté du 10050 Cielo Drive à Benedict Canyon, Sharon peut aussi compter sur les maladresses et les inégales convictions de ses assassins satanistes. L’erreur est humaine et ce n’est pas Vincent Vega qui dirait le contraire (« Oh, I shot Marvin in the face » dans Pulp fiction, 1994). Ainsi, les hippies envoyés par Charles Manson pour tuer les « pigs » contre lesquels il s’insurge, frappent à la mauvaise porte et trouvent Rick et Cliff en plein trip. Pas de bol pour eux (les hippies) : Cliff Booth a déjà dérouillé Bruce Lee par la seule force de la pensée, tandis que Rick Dalton, tout à fait requinqué, a rapidement remis la main sur un collector en parfait été de marche, sa rôtissoire à nazis.

Tarantino reprend son principe de réécriture historique (depuis Inglourious basterds en 2009) et l’applique cette fois au fait divers. L’ambition paraît amoindrie car il n’est plus question de donner un panorama fantasmé de la Résistance internationale et d’ériger l’art comme une arme absolue (Inglourious), ni de s’attaquer à la question raciale inextricablement nouée aux racines de la nation américaine (Django unchained, 2012, Les huit salopards, 2015). Dans son film, la Seconde Guerre mondiale est d’ailleurs réduite à l’anecdote (un bout de fiction dans la fiction, une « choucroute grillée » servie par Rick Dalton) et le fait divers la véritable histoire à raconter. Le territoire concerné s’est rapetissé. Tarantino a en quelque sorte dessiné sa propre Map to the stars (Cronenberg, 2014). A travers ce buddy movie avec fantômes, il a par la même occasion échafaudé son propre labyrinthe californien (Under the Silver Lake, David Robert Mitchell, 2018 pour citer le dernier connu). Bien sûr, tout est très pensé et la cohérence du film est très grande : tout est construit autour des meurtres de la secte Manson et le contexte est réfléchi jusque dans ses moindres détails (notamment la musique en écho aux faits ou à l’état d’âme des personnages, puisque Manson, des Beatles à Deep Purple en passant par les Beach Boys, a tant inspiré dans ce domaine). Mais ce à quoi je suis le le plus attaché dans le film est ailleurs. Son cœur véritable est dans ses personnages : ces deux amis Rick et Cliff que l’on ne met guère de temps à aimer et Sharon Tate pour qui Tarantino conçoit ici une très belle fantaisie. Au dernier plan, la grande grille de la villa s’ouvre pour Rick Dalton : le personnage de fiction peut enfin rencontrer ses voisins, ceux que les tueurs n’auront pas épargné, et c’est un peu comme si leur avait été réservé là, sur cette fin de pellicules, un coin de paradis.


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